30 minutes de gesticulation par jour

L’expérimentation « 30 minutes d’activité physique par jour » est en pleine campagne de promotion. Je passe sur la vidéo mettant en scène le ministre, pour évoquer le fond du problème. Dans la vidéo publiée par Génération 2024, le projet est décrypté par Tony Estanguet et Michel Cymes : la sédentarité et l’inactivité physique sont des fléaux de nos sociétés développées, responsables du développement de diverses maladies chroniques, et la solution est de s’assurer que les enfants aient un minimum d’activité physique journalière, de manière à construire des habitudes durables de pratique. Reste à savoir si le simple fait de « gesticuler » pendant une demi-heure par jour est la solution au problème posé (on pourra à ce niveau consulter le billet de Claire Pontais : Bouger 30 mn c’est bien …mais à l’Ecole, apprendre à bouger, c’est mieux !). La vidéo propose ensuite des séquences dans lesquelles des élèves se livrent en effet à des activités diverses, que l’on qualifierait volontiers de jeux psychomoteurs. Une directrice d’école commente : « On a une fiche avec une consigne très simple et efficace, et derrière la fiche il y a des images d’illustration. N’importe quel enseignant même novice peut s’emparer de n’importe quelle fiche ». Bref une animation que n’importe qui pourrait mettre en œuvre, puisqu’il ne s’agit en définitive que de « bouger ».

Ce dispositif, qui apparaît comme la continuité du 2S2C, se profile sur les mêmes augures. Imposer à l’École des animations clé en main, reposant sur une conception plutôt contestable de l’éducation pour la santé, avec recours si nécessaire à des intervenants extérieurs, sur le temps scolaire (des conventions sont en signature avec des fédérations sportives), le tout sur un fond sympathique d’olympisme et de jeunesse fraîche et joyeuse.

Lorsque l’on fait face à un problème tel que l’augmentation du surpoids et de l’obésité, que certains qualifient depuis quelques années de pandémie mondiale (Jacobi, Buzelé, et Couet, 2010), on ne peut pas espérer être efficace en bricolant des mesurettes à trois balles et en tentant de les promouvoir par une communication habile (toute ressemblance avec une autre pandémie serait fortuite). Il est nécessaire d’anticiper, et de faire confiance aux services de l’Etat pour développer des solutions et des programmes.

Dans le cas présent, puisqu’en effet les causes sont connues, et renvoient en grande partie aux méfaits de la sédentarité et de l’inactivité physique, il se trouve que l’État dispose d’une École, en charge de la scolarité obligatoire des enfants de ce pays, dans laquelle travaillent des Professeurs des Écoles, recrutés par concours. Ces enseignants appliquent des programmes nationaux, assurant de ce fait une égalité et une homogénéité nationale de l’Éducation. Dans le cadre des programmes actuels, ces enseignants assurent 3 heures hebdomadaires d’Éducation Physique et Sportive, et le concours de recrutement de professeurs des écoles comprend une épreuve dans laquelle « à partir d’un sujet fourni par le jury, proposant un contexte d’enseignement et un objectif d’acquisition pour la séance, il revient au candidat de choisir le champ d’apprentissage et l’activité physique support avant d’élaborer une proposition de situation(s) d’apprentissage qu’il présente au jury. Cet entretien permet d’apprécier d’une part les connaissances scientifiques du candidat en matière de développement et la psychologie de l’enfant, d’autre part sa capacité à intégrer la sécurité des élèves, à justifier ses choix, à inscrire ses propositions dans une programmation annuelle et, plus largement, dans les enjeux de l’EPS à l’école » (Programme du CRPE, Arrêté du 25 janvier 2021). Je doute que l’on vérifie ces compétences chez les éducateurs sportifs que les fédérations sportives envisagent de placer sur ce dispositif.

Alors en effet ce projet « 30 minutes d’activité physique par jour dans les écoles » est profondément insultant pour les enseignants. Il suppose soit qu’ils ne font pas leur travail, soit qu’ils sont incompétents. Si l’horaire d’EPS n’est pas suffisant, il revient au ministère d’accroître sa part dans la programmation hebdomadaire, et à son administration de s’assurer qu’elle est respectée. Si le ministère juge que les enseignants sont incompétents, il ne tient qu’à lui de renforcer leur formation initiale, notamment en EPS, s’il considère que cela devient un enjeu prioritaire. Mais sa politique, ces dernières années, a plutôt été dans une réduction de la formation professionnelle dans les masters MEEF, notamment par le report des concours de recrutement en fin de cursus.

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5 commentaires pour 30 minutes de gesticulation par jour

  1. Caroline CLERC dit :

    Merci Monsieur Delignieres de défendre notre profession avec autant de réactivité, de clairvoyance et d’engagement.

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  2. GIRARDET dit :

    On ne peut qu’adhérer à cet article juste et clairvoyant.
    On peut prévoir que nos « chères têtes blondes » se lasseront vite de ces gesticulations vides de contenus et de sens, en attendant quelle « descente aux enfers » pour l’ EPS, certes imparfaite, que nous nous sommes évertués à construire!

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  3. Marie-Laure VIVIER dit :

    Bonjour Monsieur Delignieres, je vous remercie pour cet article qui défend non seulement la profession d’enseignant en EPS mais aussi la profession d’enseignant en général. Ce qui est en train de se passer dans l’éducation nationale en ce moment est tout simplement scandaleux, atterrant.

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  4. Lycée du Parc dit :

    Entièrement d’accord sur l’analyse que vous portez ici, je m’interroge sur les raisons qui pousse un ministre a jouer « contre son camp » en permanence. Oui, il y a une rigueur budgétaire obtuse et imbécile derrière tout ça. Oui, il y a une volonté de faire entrer le privé à l’Ecole. Oui, il y a un libéralisme forcené même plus caché derrière de grands mais vains discours sur l’égalité des chances.
    Mais quand même, nos dirigeants n’ont-ils pas d’amour-propre, un peu de respect aussi pour les agents de l’Etat que nous sommes, nous profs d’EPS ?
    Visiblement, non.

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  5. Zou dit :

    « Les bons outils font les bons ouvriers ». Donc tout employeur raisonnable ne peut veiller qu’à donner le meilleur pour que ses agents soient les plus performants.
    Qu’en est-il ici ?
    On a d’une part des fiches « 30 minutes d’activité » produites par les agents de l’Education nationale sélectionnés, à la demande et sous contrôle ministériel. Donc le meilleur. Sauf qu’on ne leur a pas demandé « d’outiller des enseignants » mais de lister des jeux et activités avec comme seule contrainte des critères de faisabilité (dans la cour, sans matériel, etc.)…
    On a d’autre part, des « outils pédagogiques » développés pour le COJOP et financés par lui, par un officine privée (qui parfois sollicite des fonctionnaires reconnus à qui elle offre, outre sans doute un supplément de rémunération, une reconnaissance stratosphérique) qui vient déverser les grandes idées sur l’éducation olympique, sans se soucier des enjeux et missions de l’école. Car, on le sait depuis longtemps, tout le monde a des idées sur ce qui devrait être enseigné et comment dans l’école de la République. Il ne manque plus sur ces belles brochures que les logos des sponsors majeurs qui savent que les Jeux sont le meilleur vecteur de la mondialisation de la consommation de masse…
    Aujourd’hui, le ministère recense 900 écoles inscrites dans le dispositif. Il en resterait donc 49.230 à convaincre.

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