Une EPS hypermoderne

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Ce texte reprend et amplifie une ligne de réflexion engagée voici quelques semaines dans un article intitulé « Quelle EPS dans une société néolibérale ? » (Delignières, 2021), qui se proposait d’analyser les évolutions actuelles de l’EPS au crible du modèle de l’hypermodernité. Ce premier texte a suscité des réactions multiples et contrastées, suffisamment consistantes cependant pour me donner envie de revenir passer une seconde couche. Certains y ont vu un point de vue original qui méritait d’être considéré plus en profondeur, surtout dans la crise identitaire que traverse actuellement l’EPS. D’autres (plus rares heureusement) l’ont reçu comme un ensemble d’élucubrations sans rapport avec la réalité de la discipline, voire même insultantes vis-à-vis des collègues enseignants. Tout ceci appelle un approfondissement de la réflexion, tant au niveau du cadre théorique qu’à celui des évolutions actuelles des mentalités et préoccupations des enseignants. Il me semble nécessaire dans un premier temps de revenir sur les concepts clés de ces analyses, notamment le néolibéralisme et l’hypermodernité.

Libéralisme et néolibéralisme

Il convient tout d’abord de définir ce que l’on entend par néolibéralisme, et surtout de le distinguer du libéralisme originel. Classiquement, le libéralisme économique renvoie à l’idée d’une restriction des interventions des États sur le fonctionnement des marchés : la doctrine essentielle est le « laisser faire », laisser fonctionner librement la concurrence, la logique de l’offre et de la demande.

Ce que l’on appelle le néo-libéralisme relève d’une autre logique, et suppose au contraire une intervention délibérée de l’État pour mettre en place « une redoutable logique qui transforme toutes les institutions et tous les champs sociaux pour les plier à la norme de la concurrence et de la performance » (Dardot & Laval, 2014). Les effets de cette politique se font notamment sentir dans la gestion des services publics, avec une gestion managériale de plus en plus stricte des administrations, des hôpitaux, des écoles et des universités. Ces services publics auxquels il est dès lors davantage demandé d’être rentables qu’efficaces, où les usagers deviennent de plus en plus des clients. La crise sanitaire a révélé les défaillances du système de santé, plombé par une gestion comptable pusillanime. Les projets actuels du ministère de l’Éducation Nationale vis-à-vis du système scolaire relèvent d’une logique similaire : « une école issue du rêve néolibéral dont les contenus sont réduits aux quatre piliers fondamentaux : lire, écrire, compter et respecter autrui. […] Une école publique au rabais où les enseignants sont privés de toute liberté pédagogique et soumis par une surveillance et un contrôle permanents. Une société issue des rêves néolibéraux où le troupeau est conduit par une élite éclairée par le savoir et la science » (Svrdlin, 2017). L’épisode du 2S2C n’a été qu’une illustration assez caricaturale de cette idéologie néolibérale (Delignières, 2020a). Quant aux universités, elles se sont, elles aussi, « mises à l’heure de la consommation en délaissant la recherche fondamentale pour la recherche appliquée et les profits à court terme qu’elle génère, en se lançant dans une guerre impitoyable où les étudiants sont conçus comme des clients qu’il faut attirer puis satisfaire » (Charles, 2005).

Cette rationalité économique s’étend à l’ensemble du champ social, y compris donc aux secteurs d’activité qui ne sont pas directement marchands, et au-delà des institutions, aux individus eux-mêmes, chacun devenant un « entrepreneur » de soi-même (Hache, 2007). Dans cette logique, l’individu est pensé comme essentiellement responsable : responsable de sa vie, de sa santé, de son orientation, de son employabilité, et l’ensemble de ses choix sont supposés pilotés par des décisions rationnelles. Patrick Trefois s’inquiète de l’installation de cette nouvelle norme dans le domaine de la santé : « Que penser de ces discours invoquant la responsabilisation de l’individu vis-à-vis de sa santé ? […] Aurons-nous, nous ou nos enfants, le devoir de veiller à rester des outils performants pour nous-mêmes et pour la vie économique ? Serons-nous considérés comme des individus totalement maîtres de notre santé et capables de gérer notre bien-être – et notre efficacité au travail – indépendamment des conditions de notre environnement ? » (Trefois, 2008).

Cette évolution touche aussi l’École. On a peu commenté les orientations des récents programmes du lycée, mettant fortement l’accent sur la responsabilité et l’autonomie des élèves, dans la construction de leurs projets personnels, de leur orientation et de leur devenir professionnel. Comme si tout à coup les déterminismes sociaux n’existaient plus, et que les individus devaient être les seuls responsables de leur trajectoire de vie.

L’hypermodernité

Le néolibéralisme génère aussi une évolution marquée des mentalités et des modes de vie, caractérisée par ce que Lipovetsky (2006) a qualifié d’hypermodernité : des sociétés « emportées par l’escalade du toujours plus, toujours plus vite, toujours plus extrême dans toutes les sphères de la vie sociale et individuelle ». L’auteur évoque surtout l’hyperconsommation, une quête effrénée de changements, d’innovations et d’expériences émotionnelles. Cette quête concerne évidemment des objets (matériels informatiques, de communication, matériels électro-ménagers, véhicules, objets de décoration, etc.), mais aussi des produits culturels (musiques, vidéos, séries), des pratiques de loisir (notamment « sportif »), des produits et pratiques de santé, etc.

Cette hypothèse présente des contours complexes, qu’il importe d’élucider. L’hyperconsommation est pour Lipovetsy apparue à partir des années 1980, et doit être distinguée de la consommation de masse qui a marqué les années précédentes, liées à l’accroissement du pouvoir d’achat lors des trente glorieuses et à la mise à disposition des biens au plus grand nombre. Cette première phase a permis l’équipement des ménages avec les facilités essentielles de la vie moderne. Dans le cadre de l’hyperconsommation, il ne s’agit plus simplement d’accéder à un confort matériel, mais surtout de stimuler l’imaginaire. Consommer revient avant tout à chercher à rompre la routine quotidienne, à intensifier et revivifier son présent, à le bousculer par de la nouveauté, un parfum d’aventure. On n’achète pas des vêtements mais des marques, on n’achète pas un véhicule mais les expériences et sensations qu’il pourra procurer, on achète le dernier iPhone pour renouveler son cadre d’existence, pour rajeunir son vécu.

Selon Lipovetsy, l’hyperconsommation s’est affranchie des normes de classe, que Bourdieu (1979) avait théorisées au travers du concept d’habitus. Dans la perspective bourdieusienne, les goûts et la consommation renvoyaient à une logique de distinction, de revendication identitaire de classe. Cette hypothèse a par exemple été développée par Boltanski (1971), en ce qui concerne les comportements liés à la santé, à l’hygiène et à l’alimentation, et par Pociello (1981) à propos de la distribution sociale des pratiques sportives. Les barrières de la distinction se sont atténuées, libérant l’exploration de l’offre marchande. La consommation devient une démarche essentiellement individuelle : il s’agit avant tout de viser des satisfactions privées, hédonistes, ludiques, expérientielles. Les goûts et désirs des individus deviennent de ce fait beaucoup moins prévisibles : l’hyperconsommateur est erratique et inconstant, il zappe d’un objet à l’autre, d’une pratique à l’autre, au gré des tentations et des perspectives de satisfaction.

Il faut également évoquer l’impact du développement du numérique, de l’internet et des réseaux sociaux, qui jouent un rôle central dans cette hyperconsommation. Le numérique permet de diffuser l’offre, d’en faire une promotion agressive ou plus subtile (notamment par les publicités ciblées, en fonction des navigations antérieures, ou par le biais des influenceurs), et de donner l’impression de pouvoir comparer et faire des choix rationnels. Les réseaux sociaux sont aussi un lieu où chacun peut faire l’étalage de son hyperconsommation, en dévoilant au jour le jour ses coups de cœur, ses états d’âme, ses achats et ses pratiques.

On pourrait penser cette culture hypermoderne comme autonome, simplement concomitante des orientations néolibérales. Tapia (2012) estime au contraire qu’elle « remplit une fonction facilitatrice au profit de l’idéologie néolibérale en exaltant l’individualisme et en faisant des individus des calculateurs, des stratèges attentifs à maximiser la rentabilité de leurs choix, enfin des gestionnaires de leurs jouissances ». Dans ce vertige d’hyperconsommation, l’individu conçoit l’accomplissement d’une vie réussie dans la consommation à outrance, le divertissement et la réalisation de soi, au grand bénéfice de la croissance des marchés.

La psychologie de l’individu hypermoderne

Cette évolution des modes de vie induit évidemment une structuration psychologique particulière de l’individu hypermoderne. L’hyperconsommation entretient chez chacun le développement « du goût des nouveautés, de la promotion du futile et du frivole, du culte de l’épanouissement personnel et du bien-être, bref de l’idéologie individualiste hédoniste » (Charles, 2005). Citot (2004) est plus direct en affirmant que cette égocentration génère « un hédonisme niais, individualiste, et à une revalorisation du présent dont il convient de jouir autant que possible ». Enfin Tapia avance un tableau assez radical de la psychologie hypermoderne : « superfrivolité, rétrécissement intérieur, fragmentation ou perte du sentiment d’existence du moi, manque de sensibilité à autrui, blocage de la réflexion, désengagement politique et moral, rétrécissement enfin de la conscience » (Tapia, 2012). Je laisse les enseignants méditer sur l’âpreté de cette analyse, vis-à-vis des finalités assignées à l’École : la formation d’un citoyen cultivé, bien sûr autonome et responsable, mais aussi capable d’esprit critique, d’empathie et de sens du collectif…

L’hyperconsommation génère également un certain type de rapport aux choses : l’idée que le monde est un libre-service, que les motivations peuvent être versatiles et les engagements précaires, que les choix personnels reposent essentiellement sur une estimation individualiste des coûts et des bénéfices, et que l’on peut à loisir instrumentaliser de manière utilitariste les personnes et les institutions. Au-delà de la consommation des biens, cette attitude formate le rapport à l’École, à l’université, au travail, au syndicalisme et à la politique, et aussi les relations, amicales, amoureuses et familiales.

Enfin les préoccupations de l’individu hypermoderne induisent évidemment un rapport au soi et au corps particulier, faisant la part belle «au management sophistiqué de soi, à l’esthétisation de son image corporelle, au traitement des manques et des frustrations par des procédés diversifiés englobant le coaching, la méditation, le yoga, divers soins de beauté, etc. » (Tapia, 2012). Cet aspect résonne évidemment avec les problématiques de l’EPS…

L’individualisme prôné par l’hypermodernité tend aussi à restreindre les préoccupations liées au politique, aux projets de construction de la société. Claude Tapia évoque « l’acceptation d’une société ne définissant ni fins collectives, ni ordre, livrée en quelque sorte à un spontanéisme du présent… » (Tapia, 2012). Ceci induit logiquement une déliquescence de l’idée même de coopération et du souci du collectif : « l’homme ne s’inscrit plus dans la relation à l’autre ; sa rationalité se transforme en égocentrisme ; ce sont ses désirs, ses droits qui comptent dorénavant […] le combat collectif ne nous intéresse plus, car nous ne voyons plus d’intérêt personnel à faire des efforts pour autrui » (Vignes, 2019). Les solidarités anciennes, qu’elles relèvent des sphères religieuses, familiales, politiques, syndicales, associatives ou professionnelles, qui assuraient la cohésion sociale et la sécurité des personnes, tendent à se déliter, laissant les individus isolés dans la maîtrise de leur destin. Si le collectif existe encore, c’est souvent pour des motifs extérieurs à la coopération et la solidarité : « l’origine du social ne réside plus dans la réunion des volontés, mais dans la rencontre des intérêts » (Foessel, 2008).

Centré sur soi et sur le présent, l’individu hypermoderne se montre rétif à l’approfondissement, à la réflexion sur les causes et les conséquences, aux éclairages que pourraient apporter les argumentaires philosophiques ou politiques. Il ne tient pas à « perdre son temps dans des activités aussi futiles que l’esprit critique et le souci de la chose publique » (Vignes, 2019). On pourrait résumer la psychologie hypermoderne par cette fameuse formule du film La haine : « Jusqu’ici, tout va bien… ».

L’inquiétude, cependant…

Cette quête effrénée du bonheur ne se fait cependant pas dans un optimisme sans nuage. L’hypermodernité est apparue dans un contexte marqué par l’inquiétude : la préservation de la santé et de la jeunesse, l’angoisse du vieillissement, la crainte du chômage, la menace du dérèglement climatique et maintenant des pandémies. « C’est la peur qui l’emporte et qui domine face à un avenir incertain, une logique de la mondialisation qui s’exerce indépendamment des individus, une compétition libérale exacerbée, un creusement des inégalités, un développement effréné des technologies de l’information, une précarisation de l’emploi et une stagnation inquiétante du chômage à un taux élevé. Tout inquiète et effraie » (Charles, 2005). La recherche du plaisir n’est donc pas si sereine : « c’est un présent tendu vers le futur immédiat de la rentabilité, un présent sous le signe de l’urgence, de la consommation frénétique et de l’investissement » (Citot, 2004). L’obsession de la santé et de la longévité oriente particulièrement la quête de l’hyperconsommateur et l’offre marchande qui s’efforce d’y répondre, notamment dans les domaines des loisirs, du sport, de l’habitat, du logement, de la cosmétique, ou de l’alimentation.

Les individus sont de fait écartelés entre des injonctions paradoxales, avec d’une part l’exigence hédoniste, savamment organisée, et d’autre part la responsabilisation qui pèse sur leurs épaules. Il s’en suit une schizophrénie récurrente dans leur rapport au monde : « Les individus hypermodernes sont à la fois plus informés et plus déstructurés, plus adultes et plus instables, moins idéologisés et plus tributaires des modes, plus ouverts et plus influençables, plus critiques et plus superficiels, plus sceptiques et moins profonds » (Charles, 2005).  

Et l’EPS dans tout cela ?

Il serait sans doute illusoire de penser que l’EPS reste une citadelle inexpugnable, insensible à l’hypermodernité qui envahit la société. Il importe néanmoins de dresser le constat des symptômes de cette contagion, et des conséquences qu’elle peut avoir sur l’évolution de la discipline et son avenir au sein du système scolaire.

Une première entrée dans l’analyse des évolutions de l’EPS renvoie évidemment aux pratiques effectivement mises en œuvre dans les enseignements. Rappelons que Bessy (1991) décrivait voici une trentaine d’années une EPS massivement dominée par les sports collectifs (32.6%), l’athlétisme (30.1%) et la gymnastique (21.1%). Poggi-Combaz faisait une décennie plus tard des constats à peu près similaires : « … la trilogie traditionnelle (athlétisme, gymnastique, natation) ainsi que les sports collectifs de petit terrain arrivent largement en tête. On peut noter les scores élevés du badminton, de la lutte et du rugby qui semblent bien implantés en milieu scolaire » (Poggi-Combaz, 2000). Si ces auteurs évoquaient une EPS centrée sur un quarteron d’activités typiquement scolaires, parfois qualifiées de « sports de base », et déploraient un manque d’ouverture aux « activités nouvelles » (notamment à l’époque les activités de pleine nature, de glisse et la danse), il semble que la discipline a renversé quelques idoles ces dernières années…

Le rapport de l’Inspection Générale de l’Éducation Nationale (2018), relatif à « la situation de l’EPS au collège en 2016 » dénote en effet de profondes évolutions : une analyse réalisée dans l’académie de Nancy révèle par exemple que les activités les plus pratiquées en collège sont le demi-fond (14%), l’acrosport (12.1%), et le badminton (12%). On peut aussi noter aussi que le step est davantage programmé que la danse (2.3% contre 1.1%). En regard, on relève que certaines activités que l’on peut considérer comme des piliers de la culture sportive ou artistique, comme le football, le rugby, la natation, le judo, l’athlétisme, la gymnastique, ne sont que peu ou modérément retenues dans les programmations.

Il me semble que les mentalités ont encore pas mal évolué depuis. La page Facebook EPS Mania est un lieu intéressant pour capter les intérêts et préoccupations des enseignants. Une catégorie non négligeable de contributions concerne les « activités nouvelles ». Ainsi un post récent était ainsi libellé : « Je cherche à diversifier notre programmation EPS l’an prochain avec des nouvelles activités … Auriez-vous en stock des idées d’activités motivantes, innovantes ? ». L’objectif est clairement identifié : s’écarter des activités traditionnelles, proposer des pratiques nouvelles, inédites, plus « jeunes ». Les commentaires égrenent un florilège conséquent : Spikeball, Bumball, Kinball, Poullball, Foobaskill, Tchoukball, Quidditch, Double dutch, Frontball, etc… Autant d’activités en effet diffusées sur Youtube et certains sites dédiés, les présentant évidemment comme de « véritables sports », ou des « sports complets ». On ne sera pas étonné que l’on puisse qualifier cette soif de nouveauté et d’expériences inédites de typiquement hypermoderne. Je dois dire que si de tels échanges pourraient avoir quelque légitimité sur un forum d’animateurs de centres de vacances, j’ai plus de difficulté à les envisager sur  une page regroupant des enseignants d’EPS.

L’auteur du post initial s’inquiète un peu : « Vous arrivez à faire une séquence complète de Spikeball ? ». Une collègue le rassure : « Cette activité est très riche et pas facile pour tous. En adaptant les règles, tous les élèves parviennent à jouer et développer leurs compétences. Il suffit de regarder des vidéos, notamment sur Instagram ou YouTube pour se rendre compte qu’il y a de quoi faire un cycle ».

Un commentaire un peu isolé apporte quand même une réserve salutaire : « La question qu’il convient de se poser avant de savoir quoi faire, ce serait pour apprendre quoi ? ». On est en effet loin, par exemple, de la rigueur des propositions du CEDREPS (voir par exemple Coston & Ubaldi, 2007), qui proposaient de cibler pour chaque cycle un objet d’enseignement dans l’APSA, représentant un « pas en avant » significatif dans sa maîtrise, de construire une « forme de pratique scolaire » de l’APSA canalisant les élèves vers ce « pas en avant », et sur le long terme de concevoir un cursus complet dans l’APSA, une suite de cycles hiérarchisant des « pas en avant » successifs.

Là les ambitions sont plus modestes : il s’agit de « tenir » une séquence complète… L’essentiel semble d’occuper le temps scolaire par des activités nouvelles, qui vont capter un temps l’attention des élèves. Il n’est pas nécessaire pour l’enseignant de connaître l’activité, de l’avoir pratiqué lui-même. A partir du moment où l’on connaît à peu près les règles du jeu, que l’on dispose du matériel nécessaire, et que l’on a vu deux vidéos sur Youtube, la magie de l’activité est censée opèrer et les compétences émergent spontanément, sans même avoir besoin de les identifier au préalable. Il me semble en effet que l’on se situe davantage dans le cadre d’une animation que d’un enseignement (je subodore que cette phrase va déclencher des cris d’orfraies chez certains).

Soyons clair (pour éviter toute polémique inutile) : je ne suis pas en train de dire que ces échanges spontanés sur internet, qui plus est dans un contexte d’exercice très particulier dans le cadre de la crise sanitaire, représentent ce qui se fait (je n’ose pas dire ce qui s’enseigne) actuellement en EPS. Par contre, je pense qu’ils dénotent un état d’esprit, une manière de voir les choses, tout à fait en phase avec les mentalités hypermodernes que je viens d’évoquer. Une EPS où l’on occuperait le temps et l’espace d’activités variées, inédites, modernes, où l’on papillonnerait d’expériences en expériences sans prendre le temps de creuser le sillon de compétences réelles, où l’on viserait davantage l’adhésion momentanée, le plaisir immédiat, que l’apprentissage.

Cette évolution me semble d’ailleurs plus ancienne, et sans doute plus profonde. Il faut admettre que cette tradition d’animation a aussi une histoire. On en trouve des réminiscences notamment chez Parlebas et Dugas (1998), qui avançaient que dans leur conception de l’EPS, il s’agissait « d’encourager une pratique ludique dépourvue d’apprentissages didactiques, dans un climat pédagogique agréable et soucieux du respect des règles ». Plus récemment, les projets de programmes du Lycée, promulgués en 2018, évoquaient « la mobilisation des professeurs d’Éducation physique et sportive pour proposer aux élèves des expériences corporelles riches, pour leur faire vivre des formes de pratique variées » (Conseil Supérieur des Programmes, 2018). Cette phrase a disparu dans les programmes définitifs, mais elle suggère quand même cette tentation, y compris chez des experts de la discipline, de ramener l’EPS à une collection d’expériences à vivre.

Cette orientation affleure aussi dans les propositions du groupe Plaisir de l’AEEPS, qui visent dans une pédagogie de la mobilisation à « accrocher et renforcer son plaisir immédiat en facilitant l’accès à un premier palier de réussite » (Lavie & Gagnaire, 2014). Bien sûr, les auteurs insistent sur l’idée qu’il ne s’agit que d’une première étape, permettant l’engagement des élèves dans l’activité et ouvrant ensuite la voie à des apprentissages significatifs. Il me semble cependant que le message principalement retenu est celui de la valorisation du plaisir immédiat, de la jouissance spontanée. La réussite visée chez l’élève renvoie avant tout à son engagement, à sa participation aux activités proposées. On est loin par exemple des préoccupations de Snyders (1986), qui considérait que si l’École devait viser le plaisir de l’élève, c’est plutôt dans la jubilation de l’apprentissage et de la maîtrise des grandes œuvres culturelles (Delignières, 2016).

Une autre évolution marquante est évidemment l’engouement pour les pratiques dites d’entretien et de développement personnel, devenues au fil des ans des éléments essentiels des programmations. Là aussi, l’impulsion est venue de l’institution, qui a légitimé notamment à partir des programmes de lycée de 2000 l’introduction de pratiques telles que le step, la musculation, la relaxation, le yoga, le Pilates, ou le stretching. Elle a surtout rencontré un succès certain auprès des élèves et des enseignants, au point que la musculation est aujourd’hui l’activité la plus choisie en bac professionnel. Le prochain avatar sera sans doute la méditation en pleine conscience, qui a récemment suscité l’intérêt du ministère. Certains pourraient être tentés par l’aventure. Ces activités, présentées également comme résonnant fortement avec les aspirations des élèves, mettent en avant une logique d’individualisation forte des mobiles et des projets, et une centration de chacun sur son corps, sa silhouette, ses ressources, sa responsabilité dans l’entretien de sa santé et dans son projet de vie. On comprendra au vu des premières parties de ce texte que ces deux dimensions flattent aussi les tendances de l’hypermodernité. On peut se demander si l’EPS a vocation à accompagner ce souci de soi, de son corps, et surtout si elle doit accepter d’être une propédeutique à la consommation de l’offre marchande du bien-être et des salles de remises en forme. Pour être plus abrupt, s’agit-il en EPS d’enseigner ou de devenir de simples influenceurs… ?

Enfin il faut évoquer l’attrait des solutions numériques, qui sont pensées comme un passage obligatoire pour une EPS moderne. Les usages sont multiples : gestion de tournois en sports collectifs, présentation des consignes, individualisation des objectifs, optimisation des feedbacks, recueil et stockage de données destinées au suivi et à l’évaluation des performances, etc. Au-delà des tablettes et smartphones, d’autres objets connectés (caméras GoPro, traceurs GPS, montres connectées, drones, etc.) sont exploités. Là encore, on sent qu’il y a une certaine jubilation chez les geeks de la profession à partager (ou parfois vendre) les applications et matériels qui permettront d’enrichir l’environnement numérique de l’enseignement de l’EPS. Attitude hypermoderne s’il en est. Reste à savoir si l’intérêt de la chose dépasse celui de susciter l’adhésion des élèves par la nouveauté et la modernité, peut-être au détriment du temps effectif de pratique. La prochaine étape sera certainement le e-sport, élevé au rang de parangon de la culture hypermoderne. Il faudrait se demander aussi si l’EPS a vocation à participer au sein de l’École au développement de la culture numérique quand simultanément elle se préoccupe des effets de la sédentarité principalement alimentée par le temps passé devant les écrans.

Des enseignants hypermodernes

Au-delà de cet engagement dans une praxis hypermoderne, j’ai constaté dans les échanges et les réactions des enseignants certaines traces de ce « blocage de la réflexion » dont parle Tapia (2012). Comme s’il était insupportable d’avoir à prendre de la distance avec le présent immédiat (« la situation qui marche », « l’activité qui le fait bien »), pour remonter aux fondements théoriques, philosophiques ou politiques qui sous-tendent les engagements professionnels.

Ainsi lors des échanges qui ont émaillé le printemps 2020 à propos du 2S2C, la question des approches culturalistes ou développementalistes de l’EPS a évidemment ressurgi, les uns concevant les APSA comme les objets d’étude essentiels de la discipline (Delignières, 2020b ; Pontais, 2020), les autres préconisant une EPS centrée sur le développement de la motricité, prenant ses distances d’avec les pratiques sociales (Dietsch, Durali & Le Meur, 2020). Les réactions des collègues, sur les réseaux sociaux, évoquaient le plus souvent un sentiment de lassitude, vis-à-vis d’une controverse qu’ils jugeaient « dépassée ». Le problème, c’est que l’on ne sait pas trop par quoi elle est dépassée, si ce n’est par un « en même temps » très tendance actuellement, qui évite de se questionner outre mesure. Le « débat » se limite le plus souvent à poser des Like ou des « merci pour le partage », mais il est bien rare que des arguments plus construits soient développés.

La réaction d’un collègue à la lecture d’un de mes textes illustre assez bien cette fatigue de la pensée : « en EPS on pète plus haut que tout le monde dans le système éducatif, on emploie donc des termes ésotériques ». La suite exprime en termes plus directs ses aversions : « Delignières n’a jamais enseigné, c’est un pur esprit qui spécule sur nous et les élèves…  à «sa» conception hors-sol et éthérée je préfère celle des collègues qui ont les mains dans le cambouis et qui vont au charbon ». Surtout ne pas réfléchir, ne pas remettre en question les certitudes issues du terrain. Pourquoi se questionner puisque jusqu’ici tout va bien ? Je me permets de répéter cette citation de Claude Tapia, pour lequel l’hypermodernité est caractérisée par « l’acceptation d’une société ne définissant ni fins collectives, ni ordre, livrée en quelque sorte à un spontanéisme du présent… » (Tapia, 2012). L’essentiel est d’avancer, de satisfaire l’urgence du faire et d’y trouver du plaisir. Et ceux qui essaient de prendre un peu de recul ne sont que des empêcheurs de ne pas penser. Je me rends d’ailleurs compte que ce texte a déjà largement excédé les limites d’attention et de concentration tolérées dans l’hypermodernité (280 signes selon la norme Twitter). Jean-Michel Blanquer montre régulièrement le cap, en fustigeant les intellectuels et autres « pédagogistes » qui font perdre à l’École tout « bon sens ».

Cette réticence à approfondir la réflexion, à remettre en question ses certitudes, prend parfois des atours étonnants. Un collègue analyse par exemple mes propos sur les rapports entre EPS et sport en qualifiant ma conception de la culture de « marxiste » (ce qui n’est pas faux par ailleurs, puisque je m’appuie volontiers sur des auteurs tels qu’Henri Wallon ou Georges Snyders). Ce à quoi un autre réagit : « oui mais alors si c’est de la politique… ». Surtout ne pas rentrer dans ce type de considération : l’EPS doit rester un exercice anodin, scolaire, sans prémisses ni conséquences. Je renvoie ici le lecteur aux analyses de Guy Dœuff: « en une période où les utopies ont cédé la place à la gestion et au court terme, il nous paraissait, pour l’heure, suffisant de tenter de convaincre les étudiants que leurs pratiques pédagogiques, dans ce qu’elles ont de plus banal et d’ordinaire, sont de véritables mises en œuvre politiques » (Dœuff, 2009).

L’EPS en danger

Ceci dit il me semble que l’EPS ne peut se dispenser d’une réflexion approfondie sur ses finalités, ses pratiques, et leurs évolutions. Le Centre EPS et Société l’a bien compris en organisant un séminaire intitulé « L’EPS à un tournant ? » en décembre 2020, et l’ENS en lançant les « Assises nationales de l’EPS ». Les attaques que la discipline a connu ces derniers temps, que ce soit dans le rapport de la Cour des Comptes (2919), dans le protocole relatif au 2S2C (2020), ou dans le projet « 30 minutes d’activité physique par jour » (2020), doivent alerter les enseignants sur l’incertitude de l’avenir de leur discipline au sein du système scolaire, et aussi sur leur responsabilité quant à son évolution actuelle. On peut aussi rappeler l’intérêt persistant de Jean-Michel Blanquer pour le modèle « cours le matin, sport l’après-midi », qui doit toujours patienter dans les cartons du ministère.

Il y a quelques années nous avions proposé des analyses de l’histoire de l’EPS à partir de l’hypothèse selon laquelle la discipline avait dû périodiquement se rénover pour se mettre en phase avec les attentes de la société, afin de maintenir sa place dans le système scolaire (Delignières & Garsault, 1993, 2004). Il me paraît clair que nous sommes face à une problématique de cette nature. Cela ne veut pas dire que l’EPS ait à répondre naïvement aux demandes politiques (« faire bouger les élèves », faire davantage de « sport » à l’École), mais plutôt à envoyer des messages clairs sur ce que devrait être l’Éducation Physique et Sportive, discipline d’enseignement, dans le système scolaire actuel et face aux problématiques sociétales du moment. Et je pense que les réponses du type « ne confondez pas l’Éducation Physique et le sport », « bouger plus, mais surtout mieux et autrement» ou « l’Éducation Physique permet d’accéder à une intelligence du corps » auront du mal à être audibles. Et mettre en avant une EPS qui ne ferait qu’occuper plaisamment le temps scolaire avec un florilège de « pratiques nouvelles » serait un suicide.

La période qui s’ouvre risque d’être déterminante pour l’avenir de la discipline. J’espère qu’un débat serein et approfondi pourra se mettre en place. A l’opposé des autres concours de recrutement exclusivement basés sur une maîtrise théorique de la discipline et des outils didactiques dédiés, les concours EPS ont su conserver des épreuves concernant l’histoire, la philosophie, la sociologie de la discipline et du système scolaire. Les épreuves professionnelles tendent également à prendre en compte les problématiques plus générales du système éducatif et de la réussite scolaire, au-delà des perspectives strictement disciplinaires (on pourra pour s’en convaincre comparer les sujets 0 du CAPEPS et ceux des CAPES, récemment diffusés par le ministère). J’ai du mal à croire que des collègues issus de cette formation ne soient pas en mesure de mesurer les enjeux de ce qui se passe actuellement. A condition évidemment d’accepter de se poser les questions qui peuvent fâcher.

Le cadre d’analyse que j’ai tenté de cerner dans cet article n’est qu’une pièce apportée à ce débat. Ce n’est pas une vérité absolue, c’est un point de vue. Une manière de théoriser les pratiques, les choix, les évolutions, en tentant de décrypter ce qui peut se cacher derrière un quotidien somme toute anodin. Je pense en effet qu’une partie des enseignants sont attirés par une EPS qui viserait à multiplier les expériences plaisantes, variées, innovantes, et il me semble heuristique de concevoir cette évolution en résonnance avec l’hypermodernité qui caractérise nos sociétés.

Je sais que ces analyses risquent d’être interprétées comme une critique du travail et de l’engagement des enseignants. Il serait certainement plus confortable (et sans doute plus populaire), de décerner systématiquement des satisfecit à toute proposition innovante. J’en prends le risque : je n’ai pas de fan-club à séduire, pas de maître à penser à préserver, pas de supérieur hiérarchique à ménager, pas de base électorale à flatter. Je suis simplement inquiet pour une discipline pour laquelle je me suis battu pendant pas mal d’années, et que je vois se déliter dans une dangereuse insouciance.

Je n’accuse certainement pas les enseignants d’être des « suppôts du néo-libéralisme » (comme l’a un peu lourdement suggéré un collègue). Nous sommes tous engagés dans cette hypermodernité : les élèves, évidemment, mais les enseignants aussi, et je ne me fais guère d’illusion sur moi-même. Nous la subissons mais nous en sommes aussi les acteurs. Nous y trouvons sans doute aussi de la satisfaction. Reste à savoir si le modèle de société, de sociabilité, d’humanité que l’hypermodernité suppose, doit être exploité, voire promu par l’École, ou explicitement combattu. On peut dire, à l’instar Dietsch, Durali et Le Meur (2020), que la société a évolué, que l’on ne peut ignorer les appétences actuelles des jeunes en matière d’activités physiques, et qu’il est légitime de satisfaire ces aspirations. On peut aussi affirmer que l’École doit être un lieu de résistance vis-à-vis d’évolutions que l’on peut juger délétères. Gilles Lipovetsky, bien que restant assez optimiste sur le devenir des sociétés hypermodernes, appelle à une salutaire vigilance : « on peut attendre autre chose de l’existence que les voyages, la mode, les marques, le consumérisme débridé. Ce n’est pas à la hauteur de notre idée de l’homme comme être capable de pensée, de création, de solidarité » (Lipovetsky, 2018). Disons que si l’École doit apporter des réponses aux maux de la société, elle n’a peut-être pas à en flatter les travers.

Références

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Delignières, D. (2020b). EPS et Sport : Faut-il enlever le « S » de « EPS » ? Blog, le 27 novembre 2020

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3 commentaires pour Une EPS hypermoderne

  1. Patrick Motyl dit :

    Un bien bel article, Didier dans lequel je me retrouve complètement. Certains n’iront pas jusqu’au bout. Malheureusement, les réseaux, les clivages, les castes ont pris le dessus sur les échanges, les réflexions et les débats argumentés.

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  2. Soulet dit :

    Un article percutant dont je partage l’analyse… J’ai parfois l’impression de voir les cours d’EPS se transformer en kermesse sans que ça ne dérange personne ou presque …

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  3. Patrice Van den Reysen m’a envoyé ce texte en réaction à mon article. Il en constitue un prolongement remarquable. Pour ceux qui souhaitent aller plus loin…
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    Quand on parle de libéralisme, je ne peux m’empêcher de penser aux diverses philosophies qui l’ont fondé, à leurs penseurs, comme John Locke et quelques autres. Et, je pense aussi à la philosophie du droit, à l’utilitarisme qui a notamment imprégné l’article 1 des Droits de l’homme et du citoyen de 1789.

    Selon moi, le libéralisme a instauré une idée des plus nobles de l’individualisme, et pour les philosophes utilitaristes, l’individualisme n’équivaut nullement à l’égoïsme. Par exemple, selon la philosophie du droit utilitariste, une loi est considérée comme bonne si elle est utile (…) à la collectivité. Citons Jérémy Bentham : « Un homme peut être dit partisan du principe d’utilité lorsque l’approbation ou la désapprobation qu’il manifeste à l’égard d’une action ou d’une mesure, est déterminée par, et proportionnelle à la tendance qu’elle a, d’après lui, à augmenter ou diminuer le bonheur de la communauté » (Jeremy Bentham, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, Clarendon-Oxford University Press, Oxford, 1970, p. 12 – 13) ; ou encore John Stuart Mill : « le bonheur qui constitue le critère utilitariste de ce qui est bien, n’est pas le bonheur de l’individu qui agit, mais celui de tous ceux qui sont concernés ». (John Stuart Mill, cité par Francisco Vergara, in : « Les fondements philosophiques du libéralisme« . Libéralisme et éthique. Editions La découverte, Paris, 2002, page : 63).

    Par ailleurs, « La société ouverte et ses ennemis » de Karl Popper suppose fondamentalement que dans une telle société, les individus assument leurs responsabilités personnelles. Et enfin, pour clore cette petite introduction, le libéralisme implique la tradition, la reconnaissance de l’aspect crucial de la tradition pour le progrès de la connaissance et des sociétés (Karl Popper, bien sûr, est très attaché au concept de tradition et son rôle, notamment en ce qui concerne l’évolution du savoir scientifique).

    Donc, dans ta réflexion, le néolibéralisme aurait conduit à finalement pervertir voire même détruire, (ou en passe de détruire) les notions fondamentales dont il dépend à partir du libéralisme : l’individualisme, la responsabilité individuelle, et la tradition.

    Par conséquent, l’individu hypermoderne que tu décris (et je suis d’accord avec ta description) n’est que le produit d’une sorte de décadence des valeurs fondamentales liées au libéralisme : l’individualisme, la responsabilité individuelle, la tradition. Ensuite, il y a bien, je le crois aussi, cette régression de l’E.P.S. dans le sens démontré par ta réflexion, où notre discipline tente de répondre aux attentes de l’individu « hypermoderne » plutôt que de justement résister à ses attentes. Or, « enseigner… c’est résister » !

    Que doit faire notre discipline ? Selon moi, elle doit faire comprendre aux élèves ce que sont vraiment l’individualisme, la responsabilité individuelle et la tradition.

    Les jeunes doivent comprendre qu’ils ne pourraient tout simplement rien connaître, rien saisir du monde qui les entoure sans toutes les traditions qui les précèdent et dont ils dépendent : ils doivent comprendre la logique même de cette dépendance aux traditions, en préalable à toute démonstration d’ordre psychologique, sociologique etc. C’est-à-dire que les arguments les plus forts, les plus objectifs et intemporels comme le sont les arguments logiques valides, peuvent et devraient même se suffire à eux-mêmes dans des intentions et autres projets pédagogiques.

    Les jeunes doivent comprendre aussi comment l’on ne peut concevoir l’individualisme sans l’altruisme, et là encore, selon des arguments logiques démontrant par exemple que l’individu isolé ne peut pratiquement rien faire seul, que ce soit pour lui-même, pour une collectivité de personne, et bien entendu dans le domaine de l’évolution de la connaissance objective, scientifique, sachant de surcroît que l’individu dépend de cette évolution.
    Il est logiquement impossible qu’un seul individu puisse apprendre, acquérir des connaissances dans un isolement total, de tout environnement, de tout langage préformé pour le décrire, de tout savoir acquis, et même de toute intuition personnelle qui elle-même ne saurait émerger à partir de rien, ex nihilo. Ludwig Von Mises : l’être humain est avant tout un animal social. En somme, je pense qu’il est possible de faire comprendre à l’élève que l’hypermodernité et l’individualité hypermoderne n’est qu’une impasse, et cela selon les arguments les plus forts : les arguments logiques.

    Pour terminer, et par rapport au contenu de ta réflexion que je juge fondamentale de nos jours et nécessaire à un « éveil des consciences » (…) que ce soit pour les premiers concernés, les élèves, ou les décideurs, je songe à une autre nécessité qui me semble devenir de plus en plus cruciale étant donné divers contextes problématiques où la réflexion puis les décisions autonomes, rationnelles et libres du sujet sont en jeu : les préoccupations d’ordre climatique, et l’actuelle crise sanitaire. Et, dans ces contextes problématiques, je parle de la façon dont le sujet peut identifier, discriminer les informations dont il dispose ou qu’on lui soumet pour parvenir à arbitrer de manière objective et enfin décider pour lui-même ou pour d’autres de ce qui peut avoir une valeur objective, scientifique ou non. En corollaire, je crois que l’on peut imaginer qu’une fois instruit à l’usage de l’arbitrage auquel je pense, le sujet pourrait alors mieux juger de sa situation par rapport à toutes les activités dites « nouvelles » et « motivantes » pour lui, mais qui en réalité ne font que le dévoyer dans cette « hypermodernité » que tu dénonces à juste titre.

    Quel est donc cet outil d’arbitrage dont je parle et qui me semble nécessaire, de plus en plus incontournable d’acquérir pour l’élève, puis pour le citoyen ?

    C’est l’épistémologie. L’épistémologie fondée sur la logique, comme celle de Karl Popper. Grâce à la maîtrise des principales thèses et outils méthodologiques fournis par cette oeuvre, tout élève, tout citoyen pourrait trier de la manière la plus efficace « le bon grain de l’ivraie » et mieux orienter ses décisions, ses choix personnels, se situer dans la collectivité et le « mouvement social » toujours changeant.

    Je demeure intimement persuadé qu’il est possible d’enseigner les fondamentaux de l’épistémologie fondée sur la logique dès l’école, c’est-à-dire, dès le collège (!) à condition, bien entendu de savoir opérer les transpositions didactiques qui s’imposent pour que des contenus de formation et d’apprentissage soient réellement envisageables et donnent lieu ensuite à des évaluations.

    L’épistémologie fondée sur la logique est « l’arbitre suprême » de toute forme de connaissance (qu’elle soit inscrite dans un cadre scientifique ou non) dès lors que la connaissance affiche des prétentions à l’objectivité, à l’universalité, à la scientificité. Exemple : les positions du GIEC sont-elles vraiment scientifiques ou ne sont elles qu’idéologiques ? Les critiques faites à certains professeurs de médecine dans le cadre de la crise sanitaire sont-elles valides, œuvrent-elles vraiment dans le sens d’une recherche de la vérité objective ou d’une position doctrinaire relativiste, ou pire : d’une pensée unique, dogmatique, obscurantiste ? Comment arbitrer de manière impartiale, donc sans être « juge et partie » de la valeur réelle des programmes et des contenus proposés dans le cadre d’une éducation physique et sportive ? Comment tirer les conséquences objectives d’un constat des effets délétères d’une « hypermodernité » et pour quelle citoyenneté, pour quel développement de l’individu ? Etc.

    Patrice Van den Reysen

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